05.07.2015

 

 

« La création gémit… » (Rm 8,22)

Brève présentation de l’encyclique Laudato si’ du Pape François

 

 

·         Fin juin, le pape a publié une encyclique remarquable « sur la sauvegarde de la maison commune ». La maison commune, c’est évidemment notre terre, notre demeure. Or il y a péril dans la demeure et le Pape pousse un cri d’alarme. C’est la première fois que le Magistère consacre une encyclique au sujet de la sauvegarde de l’environnement, à l’importance de l’écologie. Il y a péril dans la demeure, et donc péril pour l’humanité, tant il est vrai que nous sommes profondément liés à la terre, à la nature. Le récit imagé de la création de l’homme (Gn 2) montre que l’Homme est tiré de la terre (Adam vient de adamah, la terre), qu’il a une parenté profonde avec la nature, avec la création : il n’est pas face à elle, mais enraciné en elle.

 

·         Or « la création gémit » (Rm 8,22), elle est malmenée depuis des années : pollution, changements climatiques, réchauffement de la planète, épuisement des ressources (eau) et des énergies (pétrole, gaz…), accumulation des déchets (notamment nucléaires), perte de la biodiversité animale et végétale, etc. Le Pape, qui a une formation de chimiste, est bien informé et se base sur les constats scientifiques. Et qui souffre de tout cela ? Surtout les populations pauvres de la planète (ex. la désertification), mais tous sont touchés, en particulier les enfants et les jeunes générations.

 

·         Ensuite, le Pape François invite à un regard neuf sur la création, à partir de Gn 1-2. La nature a été créée, c’est-à-dire qu’elle est un don de Dieu : Dieu donne l’être à toute chose et soutient dans l’existence. Nous sommes ainsi convoqués à l’action de grâce, à la contemplation devant ce cadeau. Au sein de la création, l’homme a une responsabilité particulière : sommet de la création, il doit en même temps veiller sur elle : « Remplissez la terre et soumettez-la ; dominez-la » (Gn 1,28). On a parfois lu dans cette injonction divine les racines de la crise écologique, la porte ouverte à une exploitation effrénée… (cf. Lynn White). En effet, l’homme prométhéen de la modernité s’est cru tout-puissant, au point de vouloir tout maîtriser, tout dominer. Mais il faut bien comprendre ce verset : l’homme a la mission de garder le jardin de la terre, de le cultiver, de veiller sur lui de façon responsable, en évitant précisément les dérives d’un anthropocentrisme démesuré, qui se retourne ultimement contre l’homme lui-même.

 

·         Pour le Pape, il est plus que temps d’agir pour la sauvegarde de la planète, mais tout est lié : écologie, économie, bien-être social. Des décisions doivent être prises courageusement au niveau national, international, mais aussi personnel. François invite ainsi à une « conversion écologique », à une redéfinition du sens même du progrès. Il s’agit d’accepter de vivre plus simplement, plus en solidarité : moins de biens, plus de liens. On aura ainsi une meilleure répartition des ressources, des biens et on réduira les injustices sociales et le fossé Nord/Sud.

 

·         La réflexion du « Pape vert » se fait parfois plus spirituelle, plus contemplative. Le titre Laudato si’ (Loué sois-tu) reprend d’ailleurs le début du Cantique des Créatures écrit par St François d’Assise, alors devenu aveugle à la fin de sa vie. Dans ce Cantique, chaque élément de la nature est vu comme un « frère », une « sœur » (n°87) :

 

« Loué sois-tu, mon Seigneur, 
avec toutes tes créatures,


spécialement messire frère soleil,
qui est le jour,

et par lui tu nous illumines.


Et il est beau et rayonnant avec grande splendeur,


de toi, Très Haut, il porte le signe.


Loué sois-tu, mon Seigneur,
pour sœur lune et les étoiles,


dans le ciel tu les as formées claires, précieuses et belles.


Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère vent,


et pour l’air et le nuage et le ciel serein
et tous les temps,


par lesquels à tes créatures tu donnes soutien.


Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur eau,


qui est très utile et humble,
et précieuse et chaste.


Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère feu,


par lequel tu illumines la nuit,


et il est beau et joyeux, et robuste et fort… ».

 

·         Chaque élément naturel est ainsi reflet de la beauté du Créateur et convoque à la louange.

Dans la même ligne, les sacrements emploient des éléments de la nature (eau, huile, pain,

vin, feu…), à travers lesquels Dieu répand sa vie et sa grâce dans le monde (n°235).

 

·         On l’aura compris : la foi doit nous aider à avoir un meilleur rapport à l’environnement, notre « maison commune ». Puisse le monde écouter la voix du Pape François ! Au lendemain de son élection, celui-ci expliquait son choix de porter le prénom du Saint d’Assise : « François est pour moi l’homme de la pauvreté, l’homme de la paix, l’homme qui aime et préserve la création ; or, en ce moment, nous avons avec la création une relation qui n’est pas très bonne, non ? ».

 

Joël Spronck

 

 


Eclairage : petit cours d’éco-théologie

 

Durant l’année académique 2007-2008, l’abbé Joël Spronck – en collaboration avec le professeur Emil Piront – a donné un cours intitulé “Théologie et écologie” au Centre Diocésain de Formation (Liège). Il oppose un démenti à ceux qui jugent le christianisme coupable de ‘lèse-nature’.

Les écologistes radicaux accusent souvent le judéo-christianisme d’être à l’origine de l’exploitation effrénée des ressources naturelles. En ouvrant la Bible aux premières pages, on lit en effet la recommandation que Dieu fait à l’homme: “Croissez et multipliez-vous, et dominez la terre” (Genèse 1,28). Mais pour l’abbé Joël Spronck, “la foi judéo-chrétienne peut être un précieux support pour développer une conscience écologique à la hauteur des besoins de notre temps”. Il trace les grands principes d’une “éco-théologie”, une écologie éclairée par la théologie.

Le judéo-christianisme a profondément repensé le rapport entre l’homme et la nature. La Bible a ‘dédivinisé’ le cosmos. Les astres ne sont plus des dieux, mais simplement des créatures. Par rapport aux cultes païens, il y a une révolution radicale, dans le sens d’une désacralisation de l’environnement naturel. Mais, souligne Joël Spronck, “s’il n’est pas divin, le monde n’est toutefois pas ‘étranger’ à Dieu”.

 

Le règne de l’homme

Pour la foi chrétienne, le monde est un don que Dieu confie à l’homme. Ce dernier doit régner sur le cosmos à la manière de Dieu. Non pas en exploitant et en écrasant, mais de manière responsable. Il devient le gérant, le “berger du cosmos”.

L’attitude des cisterciens au 12e siècle est à ce titre fort emblématique. Ils n’hésitaient pas à s’installer dans des lieux hostiles comme les marécages pour maîtriser le chaos naturel et rendre la terre féconde. Un travail de défrichage et d’assainissement qui reflétait le combat intérieur contre le désordre des passions mauvaises.

Les choses vont commencer à dégénérer à l’époque de la Renaissance. Avec la pensée anthropocentrique, la nature n’est plus considérée comme un don de Dieu. Elle sera progressivement soumise à la tyrannie de l’homme moderne qui prétend exploiter ses ressources en maître suprême. “Si elle est indéniablement source de progrès, souligne l’abbé Spronck, cette exploitation effrénée va aussi progressivement conduire à un appauvrissement, à une dégradation de la nature, si bien que la vie de l’homme lui-même est maintenant en danger. Paradoxalement, l’anthropocentrisme moderne, qui voulait magnifier la grandeur de l’homme, s’est retourné contre l’homme lui-même.”

 

La parenté oubliée

Aujourd’hui, les activistes de la ‘deep ecology’ prétendent rendre à la nature sa sacralité (ligne du New Age). Dans son encyclique Caritas in Veritate, Benoît XVI dénonce cette dérive: “Considérer la nature comme plus importante que la personne humaine elle-même est contraire au véritable développement. Cette position conduit à des attitudes néo-païennes ou liées à un nouveau panthéisme.” (n° 48).

Le pape rejette deux attitudes contraires à la visions chrétienne de la nature, fruit de la création de Dieu: “soit considérer la nature comme une réalité intouchable, soit au contraire, en abuser”. La théologie chrétienne peut servir de ligne médiane, comme le montrent dans leur cours Emil Piront et Joël Spronck: “La théologie judéo-chrétienne nous rappelle que l’homme est un être fait pour l’Alliance avec Dieu, avec autrui, et aussi avec le cosmos. Cette réconciliation pacifique, que Jésus a inaugurée, est source de vie et d’épanouissement pour l’homme. ”

Quand l’homme se coupe de Dieu, il risque de se substituer au créateur et de se retrouver dans un face-à-face avec la nature, dans une position de dominateur, de manipulateur. Les conséquences sont clairement néfastes d’un point de vue écologique. “L’éco-théologie est une invitation pressante à réhabiliter la Transcendance…” En effet, la manière dont l’homme se situe par rapport à Dieu détermine ses relations avec le monde. Lorsque l’on considère l’homme et la nature comme des créatures, des dons de Dieu, on redécouvre leur “parenté profonde”. C’est sur cette parenté que se fonde l’engagement éthique pour la sauvegarde et le respect du cosmos.

 

Jérémie BRASSEUR